HUMAN SPECIES

HUMAN SPECIES

Patrice Joly

Alors que sous certains aspects, guillaume Janot se situe dans une pratique résolument classique de la photographie, medium dont il inventorie les ressorts scéniques et les enjeux plasticiens depuis une dizaine d’années, il explore par ailleurs d’autres voies, totalement étrangères à ce travail sur la composition de l’image et qui viennent donner un éclairage inattendu à sa pratique, comme si l’artiste ne pouvait se contenter d’une vision univoque et donnait au spectateur les propres outils de sa déconstruction.

L'exposition au Triangle à Rennes (1) présente une série de tirages dont le sujet semble être avant tout la théâtralisation d'un banal que le simple fait de la prise de vue rend forcément spectaculaire. Ainsi, parfaitement à l'aise dans la mise au point de portraits, il part d'une tentative de typologisation de certains caractères humains et tend vers une nouvelle mythologisation de l'individu, conséquence quasi inévitable du "traitement" photographique. Le propos est à la fois simple et ambigu : partant de l'idée que ce n'est pas le sujet qui active les mécanismes de la représentation mais bien les mécanismes de la spectacularisation (la scène de l'art contemporain n'étant pas étrangère à ce phénomène) qui provoquent et crééent de la mythologisation, Guillaume Janot insiste et pousse au paroxysme cette constation : ainsi, dans la série Urban species, on assiste à un véritable effet de starlettisation d'une bien banale fleur des rues que même une pauvre Loana vieillissante et oubliée ne daignerait se pencher pour ramasser. La critique de l'artificialité se double d'une adhésion à ses critères comme si Janot ne pouvait se résoudre au seul constat de l'impossibilité de la critique et succombait à la séduction de la couleur et de la saturation de l'image. Forcément, en activant et en suresthétisant ce mécanisme qui donne à ses vues ce coté "belle photo" qui fricotte avec un kitsch de bon aloi, il participe de cette fabrication dont il devient un acteur majeur et complaisant.
En tant que metteur en scène actif de cette déréalisation, Guillaume Janot pointe également le revers de cette médaille spectaculaire : appliquant cette recette à l'individu "moyen", il semble aussi participer à une contre-mythologisation active dont les nouveaux acteurs ne sont autres que nos amis, nos compagnons, nos proches. Ainsi cette image de jeune guerrier urbain qui convoque la figure de l'antimondialiste, "ancien combattant de Gènes" se confondant avec celle du teenager trop looké, tend vers la saisie d'une nouvelle esthétique de la rue, des corps. Au passage, Guillaume Janot enregistre ces déplacements sociétaux et cette requalification du héros moderne. Dans la même veine, la jeune fille en prise avec ses adversaires domestiques a des allures de militante féministe ulcérée qu'un soupçon de glamour dans la pose vient cependant tempérer : omniprésence du brouillage, impossibilité de définir des archétypes "stables". Cette virtuosité de portraitiste et de metteur en scène, Guillaume Janot est capable de la remettre en jeu dans des pratiques dérogatoires qui viennent contredire cette posture de "compositeur". Ainsi à Angers, sur l'invitation du groupe G8 (2), il a accepté de réactiver un de ses "posters", sorte de système d'engloutissement de l'image à travers ses stratifications successives. Le concept est simple : une photo originelle, image générique du chantier, agrandie à la taille et à la manière de ces monstrueux décors type Caraïbes/cocotiers/bleu lagon qui ornaient nos intérieurs 70's, devient la toile de fond pour une nouvelle prise de vue qui entrera à son tour dans ce système abyssal. Il y a dans ce dispositif inépuisable, plus conceptuel que plasticien, l'idée de la précarité et de la disparition de l'image : aveu d'une certaine relativité du pouvoir de l'artiste, de son incapacité à conserver la visibilité de ses propres productions dans un monde voué à la sursaturation des images et où tout se dérobe constamment.
Autre prise de risque : Guillaume Janot, grand travailleur paysager urbain, a accepté de se coltiner avec la réalité de la rue, dans une pièce visible au Centre National de la Photographie (3), dans te cadre de la programmation "Coté jardin". La pièce intitulée Best-Off est une grande fresque sur bâche alignant au fil d'une dizaine de tirages quelques-uns des stéréotypes cher au photographe dans un exercice de style qu'il affectionne particulièrement. Il en résulte une confrontation inédite avec le réel, une concurrence inscrite dans le projet et qui instaure une tension certaine avec l'alentour. Ainsi la street credibility de l'artiste est rudement mise à l'épreuve : la photo résiste telle à ce grand oral en s'extirpant du grand magma imagier ambiant ou bien se fond-elle dans ce décor à l'échelle 1/1 dans une disparition/fusion programmée et humblement anticipée ? À vous d'aller voir...

(1) Urban species, etc... au Triangle à Rennes du 8 mars au 27 avril 2002.

(2) Petite subversion entre amis, exposition organisée par l'École des beaux-arts d'Angers avec le groupe G8 (association née à l'occasion de cette collaboration), avril 2002.

(3) Best-0ff, exposition au CNP, "Coté Jardin", face avenue Friedland, angle avenue Balzac, 8ème arrondissement, Paris. Jusqu'au 13 mai.